M & MUS
Le projet M & Mus est inscrit dans une logique de recherche orientée par la conception, les objectifs qu’il vise couvrent à la fois des enjeux de recherche et des enjeux de formation (ou de développement professionnel). Plus précisément le projet s’attache à :
- Identifier et comprendre les conceptions attachées à la médiation de la musique, le rapport à ce savoir ainsi que l’utilité perçue de sa transmission par les musiciens professionnels et les enseignants généralistes.
- Construire et mettre à l’épreuve un dispositif en cinq phases dans lequel des activités de médiation sont co-construites par des musiciens et des enseignants ; caractériser les types de démarches élaborées en termes de médiation de la musique et de médiation pédagogique.
- Décrire et analyser les activités (expérience artistique, médiation pédagogique et musicale) conduites avec les élèves et évaluer leur pertinence en termes d’apprentissage et de motivation.
- Evaluer l’impact que ce dispositif peut avoir sur le développement des compétences professionnelles des musiciens et des enseignants, sur les apprentissages des élèves ; réfléchir à des ajustements de contenus de cours, de plan de formation initiale et continue ; alimenter la veille métier dans ce domaine.
- Identifier et mettre en évidence les effets des ajustements éventuellement opérés entre les deux volées d’étudiants concernés par le projet (18-19 / 19-20)
- Développer et encourager la coopération entre musicien et enseignant.e.s, entre formateur.trice.s des institutions impliquées et entre institutions qui proposent des programmes de médiation de la musique.
Le premier objectif vise à identifier les conceptions de la médiation selon le regard de différents acteurs. Cet objectif a jalonné le projet durant plusieurs phases, car il nous semble être un élément déterminant en particulier lorsque nous travaillons avec différents acteurs. Un travail approfondi a été conduit sur ce thème auprès des enseignant.e.s en formation de la HEPFR. La chose a été traitée de manière plus marginale du côté des musicien.e.s via des rapports informels rapportés au groupe de recherche. Les premières données ont été recueillies auprès des futur.e.s enseignant.e.s par le biais d’un questionnaire (mars 2018, N=68) et de synthèses produites par les étudiant.e.s sous forme de capsules vidéo et de synthèses personnelles (oct. 2018, N=11). Cet objet a encore fait l’objet d’une captation de données par entretiens auprès de concepteur.trice.s de programmes de médiation (mai 2020, N=3) et a permis de faire quelques comparaisons. Le questionnaire passé auprès des enseignant.e.s en formation n’a pas pu être administré auprès des musicien.ne.s (ce qui était initialement prévu) ce qui nous a empêché de faire des comparaisons systématiques entre ces deux types d’acteur.trice.s.
Le deuxième objectif était centré sur la mise à l’épreuve d’un modèle en cinq phases. La figure n° 1 synthétise ces différentes phases. La première s’intéresse aux représentations des acteurs sur les concepts de médiation de la musique et médiation pédagogique en particulier autour de l’élaboration de dossiers pédagogiques. La deuxième phase est centrée sur l’avant-concert, c’est-à-dire ce que l’enseignant généraliste présente à ses élèves avant d’aller au concert. La troisième étape est l’expérience artistique du concert – médiation proprement dite. La quatrième phase est celle de l’après-concert durant laquelle l’enseignant revient avec ses élèves sur ce qu’ils ont vécu durant le concert et enfin la dernière phase qui permet de faire un retour sur tout le cycle pour le réguler.
Figure n° 1 : les cinq du processus de médiation
Nous avons pu expérimenter ce cycle à deux reprises en nous focalisant chaque fois sur certaines phases. Mais avant de débuter la boucle proprement dite, nous avons effectué une phase exploratoire autour du dossier pédagogique et d’une captation vidéo de “La création du monde”. Elle a permis de voir comment la démarche pouvait s’intégrer dans les cours de didactique de la musique de la HEPFR. Ensuite, la première boucle a été faite autour du concert de “La véritable histoire de Pinocchio” (proposé à 32 classes en janvier 2019). Dans ce premier “tour”, l’accent a été mis sur les interventions ante et post facto d’une médiatrice dans les classes du canton de Fribourg (N=12). Des séquences d’enseignements ont été présentées aux élèves avant le concert (phase 2) et après le concert (phase 3) dans le but de capter des données indispensables à l’atteinte de notre troisième objectif. Nous avons effectué une seconde boucle autour du concert de “Pierre et le loup” (mars 2020) proposé à 31 classes. Notre but ici était de nous centrer à la fois sur les phases 3, 4 et 5 du processus en observant comment les enseignant.e.s généralistes s’y prenaient pour préparer leurs élèves au concert et pour exploiter cette expérience. Le confinement a malheureusement compromis cette partie de notre recherche. En effet, les phases 4 et 5 ont dû être annulées. Nous avons cependant demandé aux enseignant.e.s de répondre à questionnaire (N=17) en lieu et place de procéder à des observations de leçons in vivo. Le questionnaire nous a permis de savoir comment ils.elles s’y seraient pris si ils.elles avaient dû exploiter le concert avec leurs élèves une fois revenu.e.s en classe.
Le troisième objectif du projet s’attache à décrire et analyser les activités (expérience artistique, médiation pédagogique et musicale) conduites avec les élèves et évaluer leur pertinence en termes d’apprentissage et de motivation. Cet objectif a été atteint. En effet, durant la phase exploratoire, les étudiants de la HEP ont travaillé avec quelques classes. Des données ont été captées, mais leur analyse est restée dans le cadre du cours de didactique de la musique. Ensuite, durant l’expérience autour du concert de Pinocchio, nous avons pu réaliser des analyses fines des leçons données dans les classes (janv. 2019). Notre attention s’est portée sur la préparation des élèves avant le concert, mais également sur les manières d’exploiter l’expérience artistique vécue. Le travail réalisé après l’expérience s’est révélé particulièrement intéressant pour mettre en évidence des outils d’évocation du concert une fois revenus en classe (utilisation de fragments sonores, de représentations symboliques de l’orchestre, etc.) et pour voir comment la dynamique du groupe classe pouvait être un excellent levier pour formaliser des apprentissages. Nous n’avions pas pour intention d’évaluer formellement les élèves (par exemple sous forme papier-crayon), mais les analyses conduites nous permettent de dire que des apprentissages ont été clairement formalisés. Là encore, nous aurions voulu analyser les séquences d’enseignement réalisées par les enseignant.e.s titulaires lors du second tour (concert de “Pierre et le loup”), mais le confinement ne nous a pas permis de la faire. Les données recueillies via les questionnaires nous donnent cependant des indications intéressantes et exploitables.
Le quatrième objectif vise à évaluer l’impact du dispositif en termes de développement de compétences professionnelles des enseignant.e.s et des musicien.ne.s. Il s’agit de la dimension “formation” du projet qui a été principalement réalisée avec les étudiant.e.s de la HEP. Un aménagement du programme de formation a été réalisé de manière à leur permettre de profiter d’un module consacré à la médiation durant le 1er semestre de la 3ème année de formation. Cette modification importante du programme de formation est maintenant stabilisée et perdure. Par ailleurs, les étudiant.e.s ont pu assister aux concerts donnés en janvier 2019. De ce point de vue là, les futur.e.s enseignant.e.s ont pleinement profité de ce projet pour être véritablement sensibilisés à la médiation de la musique. A l’instar de grandes difficultés organisationnelles, certains d’entre eux ont pu assisté au concert de Pinocchio dans le cadre de leur stage pratique. L’aménagement réalisé à la HEP n’a pas pu être déployé comme nous le souhaitions avec les musicien.ne.s. Néanmoins, ces derniers ont pu bénéficier dans les cours consacrés à la médiation de la musique d’apports théoriques et de récits d’expériences directement liés au projet. Le développement du curriculum est encore en questionnement en particulier pour les étudiant.e.s du master en pédagogie instrumentale et vocale.
Le cinquième objectif du projet cible les ajustements à opérer entre les différentes volées d’étudiant.e.s. Il a été atteint par la mise en place d’un partenariat HEMU pour la co-élaboration du dossier pédagogique lié à un autre programme American Dream (février 2019). Cette expérience nous a permis d’identifier tout l’intérêt de collaborer et nous a conduit à les faire évoluer pour 2020 et pour la suite. En effet, il est à encore noter que les ajustements font l’objet pour le moment d’un inventaire de mesures possibles à mettre en oeuvre dans les deux institutions, mais qui nécessite du temps et peut-être même la reconfiguration de certains dispositifs de formation.
Le dernier objectif de ce projet vise une dimension collaborative entre les différents acteurs. Les résultats dans ce domaine sont très encourageants. D’abord parce que les relations entre les différents partenaires (HEMU, HEPFR et MEL) s’est très bien passée. Elles reposaient sur l’implication de ces trois acteurs dans le projet. Cela ne s’est cependant pas limité à cela. La collaboration des étudiant.e.s de la HEP s’est avérée très féconde en particulier parce qu’elle portait sur l’élaboration d’un dossier pédagogique utilisable par les classes. Les responsables du programme MEL ont eux aussi vu un grand intérêt à cette collaboration.
Cependant, il est important de souligner que la collaboration interinstitutionnelle s’est concrétisée par l’implication de différentes personnes plus que par la mise en place de dispositifs au niveau des institutions. La participation financière de la HEP et les ressources du projet ont permis d’offrir les concerts presque gratuitement aux classes qui sont venues en nombre. Les enseignant.e.s qui ont participé au projet l’ont fait à bien plaire et ont volontiers ouvert leur classe. Il était prévu qu’ils.elles interviennent après le concert de “Pierre et le loup” en échange de la gratuité du concert. Il est probable que le niveau d’implication aurait été moindre si l’engagement des enseignant.e.s dans le projet aurait nécessité beaucoup de temps. Nous attirons l’attention ici sur la nécessité de prévoir des modalités d’implication des enseignant.e.s notamment par le biais d’heures de décharge, ce qui, pour le moment n’est pas possible dans le canton de Fribourg.
PARTEMUS
L’objectif de « Partager la musique : des musiciens à la rencontre des publics » a été d’engager une recherche en direction des acteurs mobilisés au sein de « Musique entre les lignes », dispositif de concert-médiation soutenu par l’HEMU (Haute Ecole de Musique Vaud Valais Fribourg) au cours de la saison 2018 2019 afin de comprendre d’une part quelles motivations (artistiques esthétiques, pédagogiques, relationnelles, contextuelles) incitent chaque partie (publics, musicien·ne·s, chef d’orchestre, artistes invité·e·s, équipe d’organisation) à participer à ce dispositif de médiation de la musique et d’autre part comment, à l’appui de ce programme, peut se créer la rencontre entre publics et musicien·ne·s à travers le partage de la musique.
Afin de mesurer les effets d’un dispositif de médiation tel que « Musique entre les lignes » sur ses participant·e·s et sur les rapports sociaux (Schütz Alfred, 1984) qui peuvent en résulter, plusieurs questions de départ ont été formulées : Comment les acteurs mobilisés par ce projet (élèves, parents, enseignant·e·s, musicien·ne·s, artistes invité·e·s, établissements partenaires, etc.) ont vécu cette expérience de manière individuelle ou collective (Caune, 2017) ? Quel sens prend-elle en termes de pratiques et de représentation (Lafortune, dir., 2012) ? Comment s’emparent-ils de ce programme (fidélité, accompagnement, conseil, partage, etc.) ? Ont-ils, en fonction de leurs différents profils, des attentes particulières qui pourraient inviter à développer ce programme ?
Dans le prolongement de ces premiers questionnements, un focus particulier sur les musicien·ne·s impliqué·e·s au sein du dispositif, avait pour objectif de pouvoir éclairer la question de leur engagement et de leur intégration sociale afin de saisir :
- leurs appétences personnelles et collectives à vouloir intégrer ce dispositif (formation, répétition, participation, concert, rencontre avec les publics)
- les répercussions que cette pratique spécifique peut avoir sur leur projet d’insertion professionnelle, sur leur conception du métier de musicien·ne et plus largement sur leurs socialisations musicales (Prévost-Thomas, Vessely, 2014) ?
Grâce aux techniques d’enquêtes quantitatives et qualitatives déployées au cours de l’enquête PARTEMUS , la majorité des objectifs fixés par la recherche ont été atteints comme la synthèse des résultats obtenus ci-après le précise.
Ces résultats confirment les hypothèses émises dans le cadre de cette recherche que l’on peut résumer ainsi : Partager un concert de « Musiques entre les lignes » c’est :
- Porter à la connaissance des oeuvres, des répertoires, des compositeurs à des publics novices (spectateurs mais aussi musicien·ne·s en formation)
- Proposer une vision différente du métier aux musicien·ne·s : enrichie d’expériences humaines (décloisonnées, adaptées aux attentes des publics d’aujourd’hui)
- Vivre ensemble le temps du concert une expérience musicale en direct
- Mettre en commun des émotions, des réactions spontanées, des attitudes et des comportements spécifiquement liés à l’expérience musicale de ce type de concert
- Favoriser les rencontres (entre musicien·ne·s, entre musicien·ne·s et publics, entre médiateur et musicien·ne·s, entre médiateur et publics, etc.) pour sortir de l’entre soi
- Varier la posture, la place et le rôle du médiateur : chef, musicien·ne·s, artistes invité·e·s, enfants, chef d’orchestre, etc.
Description de la démarche
Centrée pour une large partie sur le recueil de données de terrain, PARTEMUS est une enquête sociologique appliquée à la fois au domaine des pratiques musicales (jouer, écouter de la musique) et à celui, plus large, des pratiques culturelles (sortie au concert, rencontre de musicien·ne·s, découverte d’œuvres, etc.), reliées par une activité de médiation de la musique.
Les techniques déployées au sein de cette enquête, à la fois quantitatives et qualitatives, ont été plurielles et complémentaires : constitution de corpus à partir de supports écrits et de documents internes (programmes, dossiers pédagogiques) ; réalisation d’observations non participantes des concerts-médiation de « Musiques entre les lignes » ; passation de questionnaires à destination des différentes catégories de population de l’enquête : musicien·ne·s, public famille, public scolaire (diffusion physique et électronique), réalisation d’entretiens individuels semi-directifs ou non directifs.
Synthèse des résultats
Les motivations des acteurs à participer au dispositif de médiation de la musique « Musique entre les lignes » et les clés de la rencontre. L’analyse des questionnaires distribués aux étudiant·e·s, aux enseignant·e·s et aux familles, complétée par celle des entretiens, permet de révéler sept tendances qui influencent les motivations des personnes à participer à l’un des concerts. Les trois types de questionnaire se réunissent autour des thématiques de découverte, de plaisir, d’originalité des propositions artistiques. Les enseignant·e·s évoquent aussi les questions de transmission et de prolongement de ce qui est vécu en classe, quand les familles s’attardent plutôt sur le fait de participer et de partager ensemble, parents et enfants, une activité musicale. Les étudiant·e·s quant à eux/elles mentionnent le caractère professionnalisant d’une telle expérience, autant parce qu’ils sont rémunérés que parce que c’est – pour beaucoup d’entre eux – la seule occasion qui leur est donnée, au cours de leur cursus, de rencontrer un public composé d’enfants. Cette place singulière accordée à la rencontre dans tous les concerts des cycles de « Musique entre les lignes » est aussi visiblement appréciée dans un grand nombre de réponses des enseignant·e·s et des familles. Cette dimension est mentionnée soit comme l’une des raisons qui donne envie de participer au spectacle, soit comme l’un des points forts du dispositif.
Focus sur l’engagement et l’intégration sociale des musicien·ne·s
Associé à la Haute école de Musique de Lausanne, « Musique entre les lignes » est perçu comme un jalon enrichissant de la professionnalisation des étudiant·e·s, puisqu’il intègre, par les rencontres entre musicien·ne·s et publics qu’il insuffle et encourage, des questions d’accessibilité à la musique répondant aux enjeux contemporains de démocratisation des pratiques musicales et plus largement culturelles.
Dans les faits, les cycles de concerts ont bénéficié à une diversité d’étudiant·e·s : 56 places d’interprètes étaient à prendre pendant les quatre séries de concerts observées. Seul·e·s 10 étudiant·e·s ont été amené·e·s à jouer sur plusieurs séries cette année et après vérification auprès d’eux/d’elles, ce n’était que pour pallier le manque de candidat·e·s. Les étudiant·e·s se sont pleinement appropriés les cycles de concert « Musique entre les lignes », ils/elles souhaitent toutes et tous renouveler l’expérience.
Après analyse des questionnaires et entretiens, on peut constater que « Musique entre les lignes » est envisagé par les étudiant·e·s comme un volet de leur formation, ou tout du moins une opportunité à saisir pour enrichir leur cursus, qui leur permet à la fois d’adopter des gestes professionnels spécifiques (conscience de la visée pédagogique de la musique, interprétation en direction d’un public précis), et de partager une expérience collective riche d’enseignements.
Les données recueillies auprès des étudiant·e·s permettent d’affirmer qu’au sein de « Musique entre les lignes », la musique se partage sur deux plans :
- pendant la série de répétitions avec le chef d’orchestre qui transmet aux musicien·ne·s, au-delà du programme à interpréter, les compétences nécessaires au bon déroulement d’un concert-médiation.
- pendant le temps de concert où la musique se partage non seulement avec les publics (on soulignera à titre d’exemple le caractère ludique et interactif des programmations adaptées aux enfants où les musicien·ne·s n’ont pas seulement une place d’exécutant·e·s) mais aussi, selon la série, avec les artistes invités (circassiens, comédien, vidéaste.) Pour chacun·e, le partage se concrétise avec le public grâce aux singularités interprétatives (possibilité de présenter, de valoriser son instrument au sein de la formation ou de l’orchestre) permises par et au cours du concert-médiation.